Tout le monde t’appelle aussitôt statue
et moi aussitôt je te donne le nom de femme.
Tu décores un jardin public.
De loin tu nous trompes.
On te croirait légèrement redressée
pour te souvenir d’un beau rêve,
et prenant ton élan pour le vivre.
De près le rêve se précise :
tes mains sont liées dans le dos
par une corde de marbre
et ta posture, c’est ta volonté
de trouver quelque chose qui t’aide
à fuit l’angoisse du prisonnier.
On t’a commandée ainsi au sculpteur :
prisonnière.
Tu ne peux
Peser dans ta main ni la pluie
ni la moindre marguerite.
Tes mains sont liées.
Ce n’est pas le marbre qui te garde
comme Argus. Si quelque chose allait à changer
dans le parcours des marbres,
si les statues entraient en lutte
pour conquérir la liberté, l’égalité,
comme les esclaves
les morts
et nos sentiments,
toi tu marcherais
dans cette cosmogonie des marbres
les mains toujours liées, prisonnière.
Tout le monde t’appelle aussitôt statue
Et moi de suite je t’appelle femme.
Non pas le fait que le sculpteur
a confié une femme au marbre
et que tes hanches promettent
une fertilité de statue,
une belle récolte d’immobilité.
A cause de tes mains liées, que tu as
depuis que je te connais, tous ces siècles,
je t’appelle femme.
Je t’appelle femme
car tu es prisonnière.
Kiki DIMOULA
in Le Peu du monde, suivi de Je te salue Jamais
Avec : La Cariadite, MODIGLIANI. 1913-1914 - Grand Palais